
LMDS : Plus d’un an après le début de la pandémie, que peut-on désormais retenir de cette période hors norme pour le marché des surgelés ?
Florent Chatir : Cette période a clairement marqué le renouveau des surgelés qui jusque-là, peinaient à retrouver un second souffle. Il faut rappeler qu’avant 2020, les surgelés pesaient de moins en moins lourd dans les paniers des Français, ils étaient passés sous la barre symbolique des 7 % de leurs dépenses au total alimentaire (soit -0.4 point vs 2015) . Le rebond a été à la hauteur de la crise que nous avons connue : la part des surgelés est repassée à 7.1 %.
LMDS : Pour autant, peut-on désormais attester que sur le Grand Froid, il y aura un avant et un après Covid ?
F.C. : Certainement oui ! Cela fait déjà 5 mois que le poids des surgelés au total alimentaire se maintient au-dessus de 7 % et chaque période qui passe amène une confirmation de l’amélioration. Il est aussi probable que bon nombre de clients du rayon aient découvert la mue des surgelés et aient été séduits par des produits plus sains, toujours gourmands, arborant de plus en plus des labels de qualité, le Nutriscore etc. Il semblerait que le rayon jouisse d’un rattrapage légitime vis-à-vis du traiteur frais, qui avait jusqu’alors pris un peu d’avance sur le sujet du « mieux manger ».
Le point sur les catégories produits
LMDS : Dans le détail, quelles catégories se renforcent sur cette séquence inédite et pour quelles raisons ?
F.C. : Les protéines animales, sans aucun doute ! Elles gagnent de la part de marché valeur (+0.8 point pour la viande et +0.5 pour les produits de la mer vs cumul annuel mobile à P2 2020) et reviennent du diable vauvert après des années de décroissance de PDM. Là aussi, on comprend les Français qui ont compensé l’apport protéique amené par la restauration : soit quand même 25 % des actes de consommation, avec une forte part de protéines – qu’il a fallu reporter à la maison par des protéines surgelées. Il faut aussi noter la continuité de la croissance des produits à base de pommes de terre, frites, pommes dauphines, qui ne cessent de gagner des PDM depuis 5 ans : l’offre est dense et les produits de plus en plus sains, avec une offre « terroir » à l’instar de la marque Pom’Bistro, qui vient amener de la valorisation sur le marché.
On note une croissance en continu des quantités et de la fréquence d’achat des surgelés.
LMDS : À l’inverse, quels sont les segments en retrait sur cette séquence inédite ?
F.C. : Les segments qui ont moins profité de la crise sont déjà les produits apéritifs (avec évidemment moins d’occasions de retrouver sur ce moment de conso). On notera également que les plats cuisinés ne croissent pas au même rythme que le reste de l’offre car les Français ont davantage plébiscité un temps de cuisine plus long. De même, les légumes surgelés ont fait face à une concurrence accrue des légumes frais dont la croissance 2020 a été vertigineuse. Cette crise a pour effet de mettre en lumière un élément sur lequel nous sensibilisons souvent nos clients chez Kantar : l’univers de concurrence est souvent beaucoup plus large que le seul rayon d’implantation !
Le point sur les circuits
LMDS : Côté circuits, quels sont les gagnants et perdants chez les généralistes ?
F.C. : Sur l’hypermarché, les surgelés ne font pas exception à la tendance globale relevée sur l’ensemble des PGC. Les Français ont boudé ce format, trop loin de chez eux, trop anxiogène vis-à-vis des risques de contraction de la Covid. C’est le circuit qui perd le plus de PDM au global PGC et sur les surgelés. Quant aux supers, s’ils ont progressé au total PGC, on ne retrouve pas ce phénomène sur le rayon grand froid. En fait, c’est notamment le Online qui a explosé sur le surgelé, en engrangeant deux points supplémentaires de part de marché en valeur.
LMDS : Un mot sur les performances des enseignes spécialistes du surgelé ?
F.C. : Côté Freezers Centers, la tendance est toujours au challenge : ils pèsent 18.1 % du business des surgelés en valeur, c’est +0.1 pt vs l’an passé et +0.5pt vs 2018. Quand on rentre dans le détail, sur le long terme, on se rend compte que deux acteurs tirent fortement leur épingle du jeu : Thiriet avec +0.1 pt de pdm val vs 2018 et Picard avec +0.4 pt de pdm val vs 2018. Entre 2019 et 2020, la dynamique est toujours très bonne pour ces deux acteurs (qu'il s'agisse du CA, ou de la fréquentation), mais il n’y a pas d’accélération de leur croissance de part de marché sur ce laps de temps ! Il sera très intéressant de suivre sur 2021 si l’engouement se poursuit sur les spécialistes ou si la rationalisation du « tout sous le même toit » prend le dessus.
Les transferts de consommation du hors domicile
LMDS : La croissance de la conso à domicile s’est nourrie sur le dos du Food Service. Quel est l’impact de ce transfert de consommation ? Et quand tabler sur un retour à la normale ?
F.C. : En moyenne, 25 % de nos actes de conso se font hors domicile. C’est beaucoup et en même temps assez restreint par rapport à nos voisins européens (l’Espagne ou l’Angleterre par exemple, où on vit davantage dehors). Il n’empêche que ce taux de consommation hors domicile est tombé à 5 % pendant le 1er confinement et n’a jamais retrouvé ses performances de 2019 tout au long de l’année 2020. Sans caricaturer, en avril 2020, on peut dire que 20 % des occasions de consommation sont passées instantanément du hors domicile à la maison. C’est LE catalyseur de la croissance des PGC sur 2020. Il est très difficile de faire des conjectures sur le futur du hors domicile mais nous sommes d’ores et déjà convaincus sur le fait qu’il faudra des années pour retrouver le niveau de consommation du hors domicile de 2019, notamment du fait du télétravail des contraintes budgétaires sur fond de crise mais aussi la peur des rassemblements.
Les EDMP, malgré les très bonnes performances de Lidl, voient leur part de marché valeur se tasser autour des 10 % en 2020.
Le surgelé bio
LMDS : Comment se sont comportées les ventes sur le bio dans ce contexte de pandémie ?
F.C. : La croissance de la Bio, au total des PGC, continue d’être une réalité. Elle est simplement moins soutenue que par le passé et suit l’évolution de l’offre qui est deux fois moins rapide que l’an passé. Il n’en reste pas moins qu’en 2020 encore, la Bio surperforme le marché. Cette tendance globale se ressent aussi sur les surgelés avec une croissance qui s’équilibre de plus en plus, entre conventionnel et bio (respectivement+15 % vs +14 %). En tout cas, les acteurs du surgelé doivent se saisir de ce potentiel énorme car la Bio est beaucoup moins développée en surgelé par rapport à la moyenne des PGC. Soit à peine 2.4 % de part de marché valeur contre 5.2 %.
Le rapport marques nationales/MDD
LMDS : comment se sont comportées respectivement les marques nationales et les MDD depuis le premier confinement ?
F.C. : La MDD prend du poids en 2020 sur les surgelés. Elle gagne +0.5 point, ce qui est d’ailleurs totalement en ligne avec le total du marché des PGC. En cause une volonté de maîtrise du budget un peu plus forte pour certains foyers et des impacts très lourds des pénuries sur le 1er confinement. Aussi, il faut noter que 30 % des foyers déclarent avoir des problématiques pour boucler leurs fins de mois et 25 % d’entre eux estiment que leur rémunération a été impactée négativement par la crise de la Covid. À ce titre, sur la fin d’année 2020 on note une augmentation de la part de marché des MDD 1ers prix et une très forte performance des EDMP. Lorsque les aides d’Etat seront « débranchées » courant 2021, il faudra être très attentif à la réaction des ménages. Est-ce que le phénomène de valorisation des paniers continuera ? Certainement car le phénomène est profond et répond à des attentes de réassurance mais la population est fragmentée, diverse*, et certains auront tout de même à cœur de gérer leur budget au plus près, via le recours à la MDD et aux promos, ces dernières s’intensifiant en 2021.
(*) : L’étude de segmentation “What The French!?” de Kantar, se penche sur la polarisation des profils de consommateurs shoppers, dans un contexte de paupérisation, de pessimisme croissant et de décrochage des cibles les plus fragiles.
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