picture Photo : Le Monde du Surgelé

La restauration livrée connaît aujourd’hui un développement sans précédents, à tel point qu’elle impacte déjà sensiblement le marché de la restauration dans l’Hexagone. François Blouin, CEO de Food Service Vision évoque ce secteur en pleine expansion.

 

 

 

 

Le développement du marché de la restauration livrée aura, sans nul doute, des conséquences lourdes sur toute la chaîne d’approvisionnement, du fournisseur au restaurateur en passant par le distributeur.  Dans ce contexte, Food Service Vision publie un nouveau rapport (« La Revue stratégique de la livraison »), fruit d’un gros travail d’observation et d’analyse mené sur ces six derniers mois. Il vise à dresser un état des lieux le plus complet possible de la réalité de ce marché, à décrypter les attentes des consommateurs comme celles des restaurateurs indépendants et chaînés, enfin à s’interroger sur les nouveaux enjeux qui en découlent pour tous les acteurs du marché. Entretien avec François Blouin de Food Service Vision.

 

LMDS : La restauration livrée monte en puissance aujourd’hui. Que pèse ce marché en France et quelle est sa progression actuelle ?

François Blouin : Aujourd’hui, on estime que ce marché pèse déjà 3,3 milliards d’€ et qu’il devrait doubler d’ici à 2022 pour atteindre les 7,3 milliards d’€. La livraison est d’ailleurs devenue l’un des plus gros pourvoyeurs de croissance de la restauration. En 2018 par exemple, elle a permis de générer à elle seule 1 % de croissance du chiffre d’affaires du marché de la restauration commerciale. Énorme ! Une progression qui s’effectue principalement au détriment de la GMS. C’est donc le changement actuel qui a le plus d’impact sur l’ensemble de la chaîne de valeur en restauration, et dont l’ensemble des acteurs commencent juste à prendre conscience.

 

LMDS : Concrètement, à quand remonte son développement dans l’Hexagone ?

F.B. : La livraison a connu plusieurs étapes charnières dans son développement. La première remonte au début des années 2000 avec l’apparition de nouveaux acteurs comme Allo resto (devenu par la suite Just Eat) et le développement de réseaux de chaînes de pizzerias et de sushis. Générant une croissance plutôt modérée dans un premier temps, l’offre s’est longtemps limitée à ces deux univers produits, avec un développement axé sur les grandes villes. Rien d’autre en dehors, hormis quelques initiatives, de restaurants thématiques livrant en direct via des méthodes classiques. Mais l’accélération du marché s’est vraiment fait ressentir entre 2015 et 2016, avec l’arrivée des premiers agrégateurs intégrant le métier de la livraison, comme Deliveroo. Et en seulement trois ans, l’offre en restauration livrée s’est sensiblement diversifiée, tant par la richesse de l’assortiment que par la variété des points de vente qui la proposent.

 

LMDS : Comment expliquez-vous cette soudaine montée en puissance de la livraison ces dernières années ?

F.B. : C’est déjà bien sûr les nouvelles habitudes de consommation, en particulier chez les Millenials qui ont plus massivement recours à la restauration livrée que les autres couches de la population française. Cette évolution allant de pair avec le rôle croissant du smartphone et du digital dans les actes d’achat ou encore le développement de nouvelles pratiques comme le « binge-watching », qui consiste à regarder la télévision ou tout autre écran pendant de plus longues périodes de temps que d'habitude, le plus souvent en visionnant à la suite les épisodes d’une même série. Rappelons que Netflix a déjà dépassé les cinq millions d’abonnés en France… Enfin, le temps moyen alloué à la préparation du repas à domicile a fondu de 25 % entre 1990 et 2010. Nul doute que toutes ces évolutions comportementales majeures contribuent aux performances de la restauration livrée. D’autant que cette dernière, initialement concentrée sur les grandes métropoles, se déploie aujourd’hui à la vitesse grand V dans les villes de taille moyenne, voire petite.

 

Longtemps resté à l’état embryonnaire, le marché a vraiment décollé avec l'arrivée des agrégateurs de livraisons, à l'image de Deliveroo ou Uber Eats (photo : Deliveroo).

 

LMDS : Quels sont les principaux agrégateurs de livraison en restauration en France ? Et quelle part des livraisons concentrent-ils ?

F.B. : Ces acteurs représentent, selon nos estimations, près de la moitié du marché de la restauration livrée. Dans le trio de tête, on trouve respectivement Uber Eat, Deliveroo et Just Eat, s’appuyant tous les trois sur un modèle de référencement des établissements qui est assez similaire. À savoir un partenariat contracté avec le restaurateur, qui va bénéficier d’une visibilité plus ou moins forte, sur la plateforme de commandes de l’agrégateur. Ubereats et deliveroo opèrent directement la livraison alors que pour l’essentiel just eat se concentre sur un rôle de market place et le restaurateur opère lui même sa livraison.

 

LMDS : Dans quelle mesure ce modèle impacte-t-il l’activité des grossistes de la restauration, généralistes comme spécialistes ?

F.B. : L’impact se ressent à différents niveaux pour les grossistes. D’abord un effet global positif : la montée en puissance de la livraison est synonyme de croissance pour leurs clients restaurateurs, car elle vient capter de la consommation avant tout sur le dos des GMS. Aujourd’hui, il est fréquent de voir des points de vente de la restauration réaliser entre 20 et 30 % de leurs ventes par l’intermédiaire de la livraison. Maintenant, tout l’enjeu pour les grossistes consiste à bien accompagner, voire à anticiper les nouveaux besoins de leurs clients.

 

L'analyse de l'offre délivrée par les enseignes de restaurants virtuels telles que Frichti ou FoodChéri fait partie des pistes à ne pas négliger pour les fournisseurs comme les distributeurs de la restauration.

 

LMDS : Vous évoquez dans votre étude trois principaux défis à relever pour les grossistes et les fournisseurs. Quels sont-ils ?

F.B. : Le premier défi consiste à bien identifier les nouveaux acteurs émergents de la restauration livrée, à commencer par les restaurants 100 % virtuels, ou encore les cuisines fantômes, des établissement entièrement dédiés à la préparation de plats ou de plateaux-repas pour la livraison mais sans lien direct avec le consommateur.

Deuxième challenge, l’adaptation de l’assortiment, dans la mesure où la livraison impacte certaines catégories de produits, à la hausse comme à la baisse. Pour citer un exemple, une viande rouge grillée est moins adaptée au modèle de la livraison qu’une viande cuisinée en sauce. Dans la même logique, certains plats ou produits sont plus attendus que d’autres en consommation livrée. D’où l’émergence de nouveaux besoins sur des produits pensés pour être facilement cuisinés puis livrés.

Enfin le troisième enjeu consiste à accompagner la mutation du business modèle des professionnels de la restauration. Car si la livraison garantit une croissance indéniable de l’activité, elle peut aussi sous-entendre une réduction de la marge générée par le restaurateur, a fortiori lorsque ce dernier passe un agrégateur de livraison, qui lui coûtera en moyenne 30 % de commission sur la prestation. Quand on sait qu’un restaurant moyen fait moins de 5 % de résultat net, il est capital de bien appréhender ces coûts supplémentaires, a fortiori sur un marché de l’hexagone qui concentre encore un grand nombre de restaurateurs indépendants.

 

LMDS : Quels sont les produits les plus consommés en restauration livrée ?

F.B. : Si on retrouve sans surprise les pizzas, les sushis et les burgers sur le podium, l’assortiment a tout de même tendance à s’enrichir. Dans ce domaine, la cuisine du monde, ou plutôt la « fusion food » monte en puissance, à l’image des Poke bowls, d’inspiration hawaïenne, qui rencontrent un grand succès chez les agrégateurs de livraisons. De son côté, la gastronomie française offre aussi des opportunités de développement, notamment sur le créneau des plats en sauce, des produits relativement faciles à transporter tout en offrant un rendu satisfaisant dans l’assiette. Dans ce domaine, des enseignes de restaurants virtuels comme Frichti, FoodChéri ou Nestor, qui cuisinent eux-mêmes leurs ingrédients, sont des exemples à étudier au niveau de l’offre. Citons enfin la meilleure prise en compte de l’environnement : 43 % des consommateurs que nous avons interrogés sont en attente d’emballages éco-conçus pour limiter l’impact environnemental de la livraison.

En résumé, notre étude montre à quel point la livraison est devenue l’un des plus gros éléments disrupteurs du marché de la restauration. Elle induit aujourd’hui des changements fondamentaux en matière d’offre comme de stratégie de vente. Mais ces nouveaux défis à relever sont quelque part autant de nouvelles opportunités qui s’offrent aux fournisseurs comme aux distributeurs de la restauration.

François Blouin, CEO fondateur de Food Service Vision




Propos recueillis par JFA

Pour tout renseignement sur le rapport « Revue stratégique de la livraison, 2019 » : foodservicevision.fr

v.alberola@foodservicevision.fr