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L’affichage en lien avec la shrinkflation aura des conséquences en magasin et dans les relations entre fournisseurs et distributeurs. Décryptage de cette nouvelle obligation d’affichage en six questions/réponses avec deux experts en droit économique : Clémence Heiter, avocate et Luc-Marie Augagneur, avocat associé chez Cornet Vincent Ségurel.

À partir du 1er juillet 2024, les supermarchés en France devront informer les consommateurs sur les produits subissant une shrinkflation, une pratique consistant à réduire la quantité d’un produit tout en maintenant ou augmentant son prix. Cette mesure, qui vise à augmenter la transparence pour les consommateurs, s'appliquera aux établissements avec une surface de vente supérieure à 400 m², pour les produits de grande consommation, de marque nationale comme de marque de distributeur (MDD), vendus dans une quantité nominale constante. Les modifications de quantité et de prix devront être clairement affichées près du produit ou sur son emballage. Les infractions à cette obligation seront sanctionnées par des amendes pouvant atteindre 15 000 € pour les personnes morales.

LMDS : Quels sont les risques légaux pour les entreprises non conformes après le 1er juillet 2024 ?

Clémence Heiter : En cas d’affichage non conforme, le distributeur s’expose à des mesures administratives d’injonction sous astreinte, de publicité ainsi qu’à une amende. La DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) peut en effet sommer le distributeur de se mettre en conformité dans un délai qu’elle impartit et sous une astreinte financière dont le montant journalier peut s’élever à 3 000 euros. En outre, l’amende administrative encourue (c’est-à-dire sans intervention préalable du juge) s’élève à 15 000 euros pour une personne morale (3 000 euros pour une personne physique). De plus, la DGCCRF peut conférer à sa décision le niveau de publicité qu’elle estime approprié, tant sur le lieu de vente, que par voie de presse ou en ligne.

Ce panel de sanctions résulte du cadre juridique applicable aux modalités d’information sur le prix au sein desquelles s’inscrit la nouvelle obligation sur la shrinkflation. La notice de l’arrêté du 16 avril 2024 le confirme. Le parallèle est donc permis avec la répression actuelle des défauts d’affichage des prix par les distributeurs.

Par ailleurs, si l’affichage omet une information substantielle relative au prix ou la délivre de manière ambiguë au consommateur, une pratique commerciale trompeuse pourrait être envisagée. La caractérisation d’une telle pratique n’est pas automatique - elle répond au critère de l’altération substantielle du comportement économique du consommateur moyen - mais expose à des plafonds d’amende sensiblement plus élevés.

La conformité de l’affichage s’appréciant par référence de produit, le supermarché défaillant à partir du 1er juillet 2024 expose son exploitant (indépendant, franchisé ou enseigne) à une répression proportionnelle à la gamme de produits de grande consommation en rayon.

Enfin, la prise d’initiative dans l’affichage de la shrinkflation requiert une grande précaution à la lecture des exigences réglementaires. En ce sens, un affichage s’écartant sensiblement de la formule type indiquant la réduction de quantité et l’augmentation de prix (imposée " à l’exclusion de toute autre ") pourrait déclencher des griefs de dénigrement de la part des fournisseurs, outre celui évoqué de pratique commerciale trompeuse en cas de confusion des consommateurs sur les prix pratiqués ou leur évolution.

LMDS : Comment la DGCCRF contrôlera-t-elle l'application de cette obligation ?

Luc-Marie Augagneur : L’obligation d’affichage ne concernant que les magasins physiques, il est attendu que son contrôle soit assuré par les visites sur place des agents de la DGCCRF.

Dans le cadre d’une enquête ordinaire, ces agents sont habilités à procéder à des constatations matérielles sur place, en l’occurrence sur la proximité et la lisibilité des affichettes. Pour vérifier l’exactitude des valeurs affichées et le respect de la durée d’affichage de deux mois, les agents peuvent se faire remettre tous documents nécessaires (factures d’achat, date de mise en rayon sous le nouveau grammage).

Pour ces raisons, il est conseillé aux distributeurs de conserver (1) la preuve de la réduction de la quantité d’un produit (justificatifs d’approvisionnement), (2) la preuve de la première mise en vente de ce produit et (3) de documenter le détail du calcul de l’évolution de prix affichée.

Concernant le calendrier d’application, l’entrée en vigueur au 1er juillet 2024 indique que le prix à l’unité de mesure pratiqué à cette date constitue la référence à partir de laquelle une évolution doit être mentionnée.

Une prompte mise en conformité est attendue dès lors qu’aucune période de grâce n’a été suggérée et que le contexte inflationniste a, en 2023 comme en 2024, justifié un renforcement des contrôles de l’affichage des prix.

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L’entrée en vigueur au 1er juillet 2024 indique que le prix à l’unité de mesure pratiqué à cette date constitue la référence à partir de laquelle une évolution doit être mentionnée.

LMDS : Comment cette réglementation influence-t-elle les contrats entre distributeurs et fournisseurs ?

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© Photo : Olivier Ramonteu
Clémence Heiter : « La nouvelle réglementation devrait solliciter l’inventivité des négociateurs pour aboutir à une nouvelle pratique contractuelle d’information, de merchandising et de positionnement tarifaire »

Clémence Heiter : Plusieurs dynamiques peuvent être attendues dès l’édition 2025 des négociations annuelles.

Premièrement, les distributeurs auront intérêt à contractualiser les modalités de déclaration par le fournisseur des références concernées par la shrinkflation. Bien plus, les distributeurs pourraient souhaiter répercuter aux fournisseurs les coûts liés au nouvel affichage. Une grande précaution est de mise dès lors qu’aux termes de la jurisprudence, la répercussion directe de la charge financière inhérente aux obligations du distributeur est illicite au titre de l’article L.442-1, I, 1° du Code de commerce (avantage sans contrepartie) et de l’article L.442-1, I, 2° du même code (déséquilibre significatif). Mais les parties pourraient convenir de rémunérer d’autres services de suivi présentant une réelle utilité pour le fournisseur.

Par ailleurs, l’affichage de la shrinkflation étant susceptible de pénaliser les ventes, il influe sur le choix (et le calendrier) de mise en avant des produits de marques nationales concernés à l’occasion d’actions de promotion menées par le distributeur.

Du côté des fournisseurs, l’enjeu est d’avoir une visibilité sur l’affichage tarifaire résultant des modifications de grammage, sans toutefois avoir leur mot à dire sur le prix de revente final ou la marge du distributeur conformément au droit de la concurrence. En outre, le champ d’application de l’obligation pourra conduire les négociateurs à réfléchir aux logiques d’approvisionnement, aucun affichage n’étant requis pour les petites surfaces inférieures à 400 m², les achats réalisés en ligne et via le service “drive” des distributeurs.

LMDS : Quel est l’impact prévisible de cette réglementation sur les stratégies de prix futures ?

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© Photo : Olivier Ramonteu
Luc-Marie Augagneur : « De nombreuses stratégies tarifaires sont donc susceptibles d’être mises en œuvre par les acteurs de la distribution rodés à la péréquation des marges »

Luc-Marie Augagneur : La politique tarifaire d’un distributeur s’établit entre les prix issus de la négociation annuelle avec ses fournisseurs et les prix de vente pratiqués auprès des consommateurs. Or, la shrinkflation concerne uniquement la hausse du prix de vente final appliqué aux consommateurs. Cette configuration octroie ainsi aux distributeurs une marge de manœuvre significative, illustrée à l’aide de deux exemples.

Cas n° 1 : Absorption de la hausse tarifaire par le distributeur : un produit de marque nationale d’appel est commercialisé sous un grammage moindre, sans modification tarifaire du fournisseur. Le distributeur peut choisir de ne pas répercuter la hausse résultante du prix à l’unité de mesure sur le prix de vente, acceptant de réduire d’autant sa marge sur ce produit (dans la limite de l’interdiction de la revente à perte). Tant qu’aucune hausse de prix à l’unité de mesure n’est subie par le consommateur, le distributeur échappe à l’affichage de la shrinkflation.

Cas n° 2 : Mise en valeur d’une marque de distributeur : un distributeur souhaitant mettre en avant une marque de distributeur avec un positionnement tarifaire agressif pourrait être tenté de le faire à l’occasion de la réduction de quantité d’une marque nationale concurrente. En affichant pour cette dernière une hausse très marquée du prix à l’unité de mesure, alors que cette hausse résulte de l’augmentation de la marge du distributeur, le dispositif d’affichage réglementaire pourrait accentuer cet avantage.

La mise en évidence de la shrinkflation du fournisseur par le distributeur avait d’ailleurs donné lieu à des décisions de justice contrastées début 2024. Si le contenu de l’affichage est désormais réglementé, une limite à la liberté tarifaire du distributeur doit être envisagée. En effet, les juridictions pourraient être amenées à retenir que, dans certaines conditions, la stratégie serait déloyale.

De nombreuses stratégies tarifaires sont donc susceptibles d’être mises en œuvre par les acteurs de la distribution rodés à la péréquation des marges.

LMDS : Sous quelle forme, et quelles informations précises devront être indiquées s'il y a une réduction de la quantité non proportionnellement répercutée sur le prix ?

Clémence Heiter : L’arrêté consacre une formule type à l’exclusion de toute autre : " Pour ce produit, la quantité vendue est passée de X à Y et son prix au (préciser l'unité de mesure concernée) a augmenté de… % ou…€ ".

Par exemple, un distributeur souhaitant maintenir le prix d’appel de 2 € pour une glace bio en bac de sa marque de distributeur (MDD) affichera : “Pour ce produit, la quantité vendue est passée de 1 L à 900 ml et son prix au litre a augmenté de 11,11 % ou 22 centimes”.

Ainsi dictée, la mention informative doit encore être visible, lisible et dans une même taille de caractères que celle utilisée pour indiquer le prix. Sous ces réserves, l’information peut être portée directement sur l’emballage ou sur une étiquette attachée ou placée à proximité du produit.

En pratique, l’apposition d’une affichette amovible autour du balisage obligatoire du prix se prête à l’exigence (à l’intérieur ou à l’extérieur du bac surgelé) et pourra être décrochée à l’issue de la période des deux mois suivant la mise en vente du produit concerné.

LMDS : Quels recours sont disponibles pour les consommateurs en cas de non-conformité ?

Luc-Marie Augagneur : À défaut de confusion sur le prix effectivement pratiqué en magasin ou de démonstration d’un véritable effet sur sa décision d’achat (qui pourrait constituer une pratique commerciale trompeuse), le consommateur individuel ne dispose que d’une prise réduite.

Le Ministre de l’Économie invite les consommateurs à signaler leurs doutes quant aux prix à l’unité de mesure affichés en rayon sur SignalConso, la plateforme de signalement de la DGCCRF. Ces signalements peuvent en effet orienter les priorités de contrôle sur le terrain.

Pour les manquements répétés ou manifestes, les associations de consommateurs sont plus susceptibles d’avoir une voix au chapitre dans la presse, voire d’initier une action de groupe notamment en présence de préjudices quantifiables subis par les consommateurs.

Le rôle de ces associations dépasse celui de la communication, en particulier s’agissant de la shrinkflation, dès lors que leurs actions ont été à l’origine de la réponse réglementaire.