La Commission européenne a adopté une proposition de révision du système des indications géographiques (IG) et des AOP. Si elles sont adoptées, les nouvelles mesures devraient accroître l'utilisation de ces « labels » dans l'ensemble de l'Union tout en les protégeant de manière plus rigoureuse. Théodore Georgopoulos, du cabinet Casalonga*, décrypte pour LMDS ce projet de réforme**.

Bruxelles veut renforcer les AOP et IGP

LMDS : A quoi servent les indications géographiques (AOP et IGP) et comment protègent-elles le patrimoine gastronomique des pays européens ?

Théodore Georgopoulos : La notion d’indication géographique n’est pas appréhendée de la même manière par tous les systèmes juridiques. Pour certains pays comme les USA ou l’Australie, Il s’agit simplement d’un nom qui détermine l’origine du produit concerné. Pour les États membres de l’UE, les indications géographiques (y compris les appellations d’origine) ne sont pas moins des signes de qualité. Les indications géographiques réunissent ainsi les conditions pour créer une valeur immatérielle autour d’une région et sur la base d’un savoir-faire, d’une réputation et d’une qualité.

LMDS : Sur quels points cette proposition de révision porte-t-elle ? Et quel en est l’objectif ?

T.G. : Avec la réforme en cours, les principes existants restent les mêmes mais des dispositions sont mises en place pour faciliter la procédure d’enregistrement. La nouvelle mouture prévoit aussi de renforcer la protection des AOP/IGP/STG notamment pour les noms de domaine d’Internet et la vente en ligne. Ce qui me rend optimiste sur l’adoption de ce nouveau règlement, c’est que le texte reprend en grande partie l’acquis législatif existant et éprouvé depuis des années.

LMDS : Dans quelle mesure cela concerne les IGP et AOP en France ?

T.G. : Les AOP/IGP en France sont des noms reconnus de l’UE. En d’autres termes, toutes les AOP/IGP sont concernées, tant au niveau de leur protection qu’au niveau de la modification de leurs cahiers des charges. Enfin, même dans un pays aussi riche que la France en la matière, il y a toujours des demandes de reconnaissance de noms nouveaux comme AOP, IGP ou en tant que STG.

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LMDS : Est-ce que le projet concerne également les produits transformés ?

T.G. : Bien sûr. Il se peut que la commercialisation d’un produit AOP/IGP en surgelé soit explicitement autorisée par le cahier des charges ou, au contraire, exclue comme pour la brioche vendéenne IGP par exemple. Et les produits surgelés qui contiennent comme ingrédient des produits AOP/IGP sont également concernés.

LMDS : Quelles conséquences pour la filière surgelée pour les distributeurs et les fabricants ?

T.G. : La question est à double tranchant ! D’un côté, cela ouvre de nouvelles perspectives pour un enregistrement plus facile (sur le plan de la procédure et du fond) d’AOP/IGP et, surtout, de STG pour des produits surgelés. De l’autre, le renforcement de la protection peut signifier plus des contraintes pour la commercialisation des produits AOP/IGP.

Le développement de la technologie en matière alimentaire permet aujourd’hui d’assurer la texture et des qualités gustatives des produits AOP/IGP une fois surgelés. Ce constat devient un élément juridique important pour la commercialisation de ces produits en surgelé, tandis qu’il devient un point critique pour l’utilisation des produits AOP/IGP comme ingrédient de produits surgelés. On dirait, sans exagération, que la réforme du régime AOP/IGP fixera les conditions pour que les fabricants et les distributeurs de la filière surgelée puissent bénéficier de l’image et de la valeur ajoutée des produits AOP/IGP.

LMDS : Est-ce que cette révision est bien reçue par les différentes filières ?

T.G. : Pour l’instant, il n’y a pas un positionnement clairement exprimé, si ce n’est que des interrogations sur le futur rôle de l’Office pour la propriété intellectuelle de l’UE (EUIPO) qui devient la pièce maîtresse dans la gestion des AOP/IGP/STG, à la place de la Commission européenne.

LMDS : Quelles sont les prochaines étapes du calendrier de cette réforme ?

T.G. : Le projet de règlement a été mis en consultation publique. Chaque filière peut ainsi exprimer son avis. Le projet final sera ensuite soumis par la Commission aux « co-législateurs » européens (Parlement européen et Conseil) pour une adoption (avec effet immédiat) d’ici à l’été 2023.

Théodore Georgopoulos, directeur du pôle vin, spiritueux & terroirs au sein du cabinet Casalonga.jpg

(*) : Théodore Georgopoulos est directeur du pôle Vin, Spiritueux & Terroirs au sein du cabinet d'avocats et de conseils en propriété industrielle Casalonga

(**) : Le 31 mars 2022, la Commission européenne a adopté une proposition de révision du système des indications géographiques (IG), qui touche notamment les vins, les boissons spiritueuses et les produits agricoles.

IG : un trésor européen de 75 milliards d'euros

Selon une étude publiée* en 2020 par la Commission européenne, les ventes de produits agroalimentaires et de boissons dont les dénominations sont protégées par l'Union européenne en tant qu'«indications géographiques » (IG) représentent une valeur de 75 milliards d'euros. L'étude a révélé que la valeur de vente d'un produit bénéficiant d'une dénomination protégée est en moyenne deux fois supérieure à celle d'un produit similaire sans certification. Ce « taux de la prime de valeur » évolue néanmoins sensiblement d’une catégorie à l’autre. Il était (à date des résultats de l’étude) de 2,85 pour les vins, de 2,52 pour les spiritueux et de 1,5 pour les produits agricoles et les denrées alimentaires. Les indications géographiques représentent 15,5 % du total des exportations agroalimentaires de l'UE, les vins représentant à eux seuls la moitié des ventes.

(*) : Study on economic value of EU quality schemes, geographical indications (GI) and traditional specialities guaranteed (TSG)